12 Sep 2025
Étudiante en gestion du patrimoine culturel à la Sorbonne, mon stage à la Fondation Cuomo m'amena à me pencher sur le cas de Tiébélé. Les enjeux que la cour royale soulève m'ont ainsi encouragée à présenter un mémoire de recherche. Voici un premier aperçu des problématiques actuelles et futures de Tiébélé.
- Marie Guyot
Offrir une description de Tiébélé n’est pas chose aisée. Nous pourrions nous arrêter à ces photographies colorées et contrastées de la Cour royale, nous émerveiller de cette architecture centenaire, ce que tant d’autres ont fait avant nous, au cœur de l’Afrique. Mais ces murs ne parlent pour eux-mêmes, et un poème hermétique s’y brode pour ceux qui n’ont pas été initiés. Une langue symbolique, foisonnante, maniée par les femmes de Tiébélé depuis le XVIe siècle. Cependant, de l’admiration à la compréhension, le mur semble immense, infranchissable. Le visiteur se rassurera par l’appellation de l’Unesco, faisant de Tiébélé patrimoine mondial de l’humanité. La Cour royale de Tiébélé s’inscrit dès lors dans le cercle à la fois vaste et clos de ces trésors à “valeur universelle et exceptionnelle”. Concrètement, une étiquette prestigieuse à placer sur les brochures touristiques et la reconnaissance internationale d’un sentiment unanimement partagé, la richesse d’un écrin. Celui de Tiébélé, une singularité en ce qu’elle demeure avant tout un lieu de vie.
C’est un héritage unique de la culture kasséna, l’une des ethnies les plus anciennes du Burkina Faso, dont Tiébélé était l’épicentre. Cette ancienne chefferie, installée sur la colline de Tchibili dont elle tient son nom, se distingue des autres villages par l’exceptionnel état de conservation de son architecture, ou plutôt de transmission. En effet, l’enceinte défensive de la Cour royale a comme su concentrer l’identité kassena, immergeant le visiteur dans une tradition séculaire encore bien vivante. Après la saison des pluies, Tiébélé se pare de nouveau de ses couleurs chatoyantes et de ses reliefs harmonieux. La Cour royale devient alors le théâtre d’une fine mise en scène, rythmée depuis sa création. Côté cour s’avancent tout d’abord les hommes, qui œuvrent à la rénovation des cases endommagées par les pluies ou les vents à l’aide d’un mélange de terre, de paille ou de bois. Coté jardin, ou plutôt côté du néré, un arbre dont les cosses vont servir à la fabrication d’un enduit, les femmes préparent les pigments de leurs peintures murales : graphite pour le noir, kaolin pour le blanc, latérite pour le rouge, la couleur des rois. Ces dernières entrent en scène notamment lors du concours de peinture Dora, organisé par une association, premier relais local de la Fondation Cuomo. Chaque année pendant cinq jours depuis 2014, les jeunes filles de la commune de Tiébélé se rassemblent pour apprendre et défendre un patrimoine bien vivant. Ces lycéennes et collégiennes reproduisent des motifs ancestraux mais sont aussi invitées à en créer de nouveau : un art sans cesse renouvelé. Au-delà des motifs géométriques, animaliers ou évoquant des outils de la vie quotidienne, les femmes kassena y voient des fresques à messages, souvent le reliquat d’anciennes coutumes. Lézards, crocodiles, serpents peuplent ces cases et sont symboles de vie ou de protection. Filets de pêche, flèches rappellent les activités des kassénas, qui, de la famine ou de la guerre, leur ont permis de conserver leur pouvoir et leur prestige. Les sons des tambours ou des crécelles résonnent sur les habitations, les entourant d’une protection rituelle. Loin d’être un art abstrait, ces motifs sont des injonctions au respect des aînés, des invocations aux divinités ancestrales.
Photo : Alfredo Cuomo in African Vibration
La peinture est indéniablement un marqueur de l’identité kasséna, de son passé comme de son renouveau, en témoigne le succès répété du concours Dora, l’objet de nombreuses festivités. Peinture, danses et chants font de Tiébélé le cœur battant de cette culture. Une conscience collective qui ne cesse de s’éveiller au fil des années, renforcée également par les avantages concrets de cette architecture. En effet, alors que les matériaux traditionnels sont délaissés pour d’autres plus modernes et considérés comme plus résistants, comme le béton ou la tôle ondulée, ils ne cessent de prouver leur efficacité tant face aux affres du temps qu’aux intempéries et fortes chaleurs, pour cet habitat qui reste néanmoins rustique. Si nous conférons aujourd’hui à ces matériaux des vertus bioclimatiques, ils sont surtout issus de gisements locaux, toutefois menacés par l’occupation croissante des sols à l’extérieur de la cour royale, en raison de sa poussée démographique et urbaine. Ainsi, l’aménagement de certaines réserves de terre ou de bois est entrepris par les localités, encouragées par l’Unesco. L’inscription de la cour royale de Tiébélé sur la liste du patrimoine de l’Unesco a en effet permis aux populations locales de saisir toute la richesse de leur propre culture et d’en garder tous les avantages. Mais aussi de la faire connaître.
Au-delà de la reconnaissance de ce patrimoine, c’est la question de son devenir qui se pose, dans cette zone de conflits, et où les populations sont souvent amenées à fuir pour la frontière ghanéenne, au Sud [1] . Si cette vitrine lui offre une renommée internationale sans conteste, elle l’expose aussi davantage aux risques d’attaques terroristes ciblées, dont la région souffre significativement [2]. Une situation dont pâtit le tourisme également, dont les retombées demeurent bien faibles et interrogent la pérennité du site. Nombreux sont ses habitants qui décident de fuir l’insécurité, et par conséquent, de quitter Tiébélé. Des questions auxquelles l’aide internationale apporte une réponse depuis 2012, et qui ne cesse de se renforcer. Par la reconnaissance tout d’abord, une première pierre indispensable aux bases d’un projet de long cours. La Fondation Cuomo en est une. Notamment par le financement du concours de peinture Dora, nous l’avons vu, condensateur de la culture kassena, lieu de transmission de près de 800 jeunes filles aux valeurs ancestrales.
Toutefois, outre le financement de ce concours, l’avantage tiré de ce long processus permet-il d’envisager une indépendance économique de la Cour royale ? Les réponses demeurent incertaines, tant la problématique est vaste et ne se cantonne pas qu’à la simple restauration ou préservation d’un patrimoine. Toujours est-il que la Cour royale de Tiébélé s’en voit transformée, tant par ce nouveau souffle architectural que par son mode de gouvernance. Aux prises de décisions du Pê, le chef traditionnel, et de son conseil des notables, s’ajoutent désormais à la table des négociations l’Unesco, le ministère de la culture burkinabé, la Fondation monégasque. Un village perdu au cœur du Burkina Faso aux promesses de potentialités économiques, restant en suspens…
[1] Le GRB (Ghana Refugee Board) comptait 12 000 à 16 000 migrants du Burkina Faso vers le Nord du Ghana depuis 2022. Une tendance ancienne, mais qui ne fait que se confirmer depuis ces dernières années.
[2] En 2021, le film documentaire de Benjamin Géminel, Tiébélé, expose la menace djihadiste quotidienne, plongeant ses habitants dans la peur et dans une économie de survie.